ENSEIGNER LA LAÏCITÉ

Voici la présentation que j’ai faite au Colloque L’éducation à la laïcité – une nécessité démocratique, organisé par le Mouvement laïque québécois, qui s’est tenu à Québec, le 6 avril 2024. Ma présentation avait pour titre : Quel pourrait être le contenu d’un enseignement à la laïcité et les défis que cela comporte

Je suis heureuse d’être ici aujourd’hui pour partager avec vous mon expérience d’enseignement à la laïcité. J’ai enseigné la philosophie pendant 35 ans au niveau collégial et, dans les dernières années de ma carrière, j’ai accordé à la question de la laïcité une place importante malgré le fait que la question était déjà sensible à ce moment-là et que j’étais la seule de mon département, à aborder ce sujet, mes collègues le jugeant trop délicat ou peu pertinent, quand ce n’était pas carrément raciste ou islamophobe.

J’avais de la pression sur les épaules à devoir me débrouiller seule avec cette matière et je devais éviter le moindre faux pas qui m’auraient peut-être valu une plainte auprès de la direction du collège qui, vous le devinez, ne voulait pas faire de vague. 

Je me réjouis donc aujourd’hui que le gouvernement implante enfin un enseignement à la laïcité à l’intérieur du cours « Culture et citoyenneté québécoise (CCQ) » dans les écoles et que cet enseignement soit obligatoire et non facultatif comme le proposait la première mouture de ce cours. 

Une fois à la retraite, j’ai continué à enseigner la laïcité en donnant des formations sur ce sujet à l’Université du Troisième Âge de l’Université du Québec à Trois-Rivières, où ce fut un réel plaisir d’échanger avec des adultes sur un sujet d’actualité pour lequel ils avaient un grand intérêt et pour qui la connaissance de notre histoire et de notre cheminement face à la religion catholique n’était pas une nouveauté, car pour l’avoir vécue dans leur jeunesse, je n’ai pas eu à les convaincre de la dimension politique des religions et de leur propension à vouloir s’immiscer dans les affaires de l’État.

C’est donc cette expérience que je veux partager avec vous aujourd’hui en me concentrant essentiellement sur deux points. D’abord, quel devrait être le contenu d’une formation à la laïcité et en second lieu, quels sont les défis que cela représente.

Au Québec, nous n’avons jamais eu d’éducation à la laïcité. Et c’est au fil de mon enseignement tout comme à la suite de mes nombreuses conférences sur le sujet que j’ai pu constater que peu de gens savent réellement ce qu’est la laïcité, en connaissent les principes, son origine et sa raison d’être et qu’encore trop peu de gens connaissent l’histoire québécoise de la laïcité.

J’ai aussi constaté qu’encore trop de gens pensent que la laïcité est antireligieuse, faite pour supprimer les religions et imposer l’athéisme. Que chez les plus jeunes, la laïcité ne servirait qu’à imposer des interdictions, interdit de prier, interdit de porter le voile, et à brimer les croyants, particulièrement les femmes musulmanes, dans l’expression de leur identité et le choix de leur tenue vestimentaire. Bref, que la laïcité serait contraignante et liberticide. Tout le contraire de la liberté, du libre choix et de l’émancipation. 

Cette méconnaissance largement partagée profite à ceux qui, sciemment ou non, colportent les pires faussetés à l’égard de la laïcité, dans le but de la travestir, de la dénigrer et de s’y opposer. Au moment où l’État défend sa loi sur la laïcité devant les tribunaux, développer chez les élèves des écoles publiques des connaissances élémentaires mais fondamentales sur ce sujet s’avère une nécessité pour former de futurs citoyens éclairés et ainsi se porter garant de l’avenir.

La tâche est colossale. Tout est à faire, à commencer par former les enseignants eux-mêmes, qui malheureusement partagent trop souvent envers la laïcité la même ignorance et les mêmes préjugés que leurs élèves. C’est pourquoi je parlerai ici de formation à la laïcité destinée aux enseignants, car si on veut que cela se rende aux élèves, il faut d’abord commencer par bien outiller les enseignants. 

Le contenu

Le contenu d’un tel cours pourrait se décliner en deux volets. D’abord le volet philosophique, celui des principes, de l’origine et du sens de la laïcité, puis un second volet sur l’histoire québécoise de la laïcité, en soulignant les temps forts, de la révolution tranquille jusqu’à la loi 21. 

Commençons par le commencement, l’étymologie. Le mot « laïc » emprunté au grec est « laïkos » qui veut dire « du peuple », signifiant ainsi que les lois viennent du peuple et non de Dieu, qu’elles sont faites par les hommes et non révélées par Dieu, posant ainsi une nette séparation entre le civil qui relève de l’État et le religieux qui relèvent des Églises. J’emploie ici le mot Églises au sens large pour désigner n’importe laquelle religion.

L’étymologie nous donne donc l’axe central de la laïcité, soit le primat de la loi des hommes sur les lois divines, où les lois civiles sont universelles et s’imposent à tous, alors que les lois religieuses sont particulières et ne concernent que les croyants. D’où la pertinence de les séparer, de façon que la religion ne s’impose pas dans l’État, pas plus que l’État ne se mêle de religion. Comme le disait Victor Hugo « Je veux l’Église chez elle et l’État chez lui ».

Les principes

C’est le principe premier de la laïcité, celui de la séparation de l’État d’avec les religions. L’État est donc neutre sur le plan religieux et ne peut imposer une religion à ses citoyens comme on le faisait, par exemple, à une certaine époque au Québec alors qu’un enseignement confessionnel se faisait à l’école publique. 

C’est le second principe, celui de la neutralité de l’État qui va ouvrir le champ des possibles et permettre le maximum de liberté en matière de croyances et de convictions. C’est en ce sens que la laïcité émancipe, parce qu’elle autorise chacun à faire librement ses propres choix. On appelle cela la liberté de conscience qui se définit comme le droit de croire ou de ne pas croire, incluant celui de changer de religion ou de l’abandonner. Cette liberté est par principe antérieure à la liberté religieuse. Elle en est même la condition radicale.

C’est le troisième principe et la raison d’être de la laïcité, son sens le plus profond, car pourquoi la laïcité sinon pour garantir et protéger cette liberté de conscience, essentielle à toute démocratie. 

Et finalement le quatrième et dernier principe, celui de l’égalité des droits qui proclame l’égalité de toutes les options sans qu’aucune privation de droits, persécution ou discrimination ne soit exercée à l’endroit de quiconque, comme ce fut le cas au XVI et XVII ième siècle pour les protestants en terre catholique et encore aujourd’hui, pour les chrétiens de pays musulmans. 

Ce quatrième principe atteste de l’universalisme des droits et montre bien que la laïcité, c’est, d’abord et avant tout, l’expression de la liberté. 

L’origine

Quant à l’origine de la laïcité, il serait important d’en parler pour donner aux élèves une perspective historique et leur expliquer que la laïcité a été la solution politique et philosophique la plus appropriée pour répondre à une conjoncture historique bien particulière, où l’Europe était mise à feu et à sang par les nombreux conflits religieux. 

De l’Édit de Nantes en 1598 jusqu’au siècle des Lumières, ceci permettrait de mettre en évidence la dimension politique des religions et leur appétit pour le pouvoir afin d’imposer leurs propres valeurs à l’ensemble de la population. 

Parce qu’il faut rompre avec l’idée que la foi est la religion et que la religion est quelque chose de personnelle. Une religion est un phénomène social, une organisation politique avec un chef qui fait parfois des miracles, dont le programme du parti est sacré et inaltérable et qui promet à ses membres la vie éternelle. Trouvez-moi un autre parti politique qui soit capable d’en faire autant ! 

Les différents espaces

Passons maintenant à des considérations pratiques. Où s’applique la laïcité ? Au restaurant, dans un centre commercial, chez Waldmart ? Dans les écoles, les hôpitaux, les ministères, les cabanes à sucre ou les YMCA ? Dans les transports en commun, les CPE, à la maison, à la SAAQ ? Où ? 

Revenons aux principes, le premier, celui de la séparation de l’État d’avec les religions et demandons-nous si un restaurant ou un Waldmart est une institution d’État ? Évidemment non. Donc la laïcité ne s’y applique pas.

Ceci permet de distinguer trois espaces, d’abord l’espace privé qui est la maison et qui ne relève pas de l’État, puis l’espace public comme les parcs, les épiceries, les restaurants qui sont commun à tous mais ne sont pas pour autant une institution d’État et l’espace civique qui lui, réfère aux institutions qui représentent l’État comme l’école, les CPE, les différents ministères et les hôpitaux. 

Ce sont ces institutions publiques qui doivent être laïques et offrir des services laïques, justement parce l’État est neutre et qu’il s’adresse à l’ensemble des citoyens, indépendamment de leur religion. L’État ne s’adresse pas à des catholiques, des protestants, des juifs ou des musulmans mais à des citoyens.            

Il est important d’attirer l’attention des élèves sur ce concept de citoyenneté. La citoyennetéest un concept politique qui définit l’individu dans son rapport à l’État, avec ses droits et ses devoirs, et qui par l’exercice de ceux-ci, le fait accéder à la communauté politique. 

Un citoyen est plus qu’un simple individu. C’est celui qui, conscient de son histoire, de sa culture, des valeurs partagées et du rôle des institutions publiques, a acquis non seulement une maturité politique mais aussi le sentiment d’appartenance à une grande communauté, celle de la nation.

La citoyenneté nous place au cœur de la tradition républicaine, où l’État garantit à tous et à chacun, l’égalité en droit et en dignité, indépendamment de ce qui le distingue, que ce soit le sexe, la race, l’orientation sexuelle ou encore la religion. Organiser la vie sociale et politique selon l’exigence de l’universalisme, en misant sur ce que nous avons en commun, des valeurs collectives, voilà tout le sens de la citoyenneté et de la tradition républicaine.

Il faut expliquer aux élèves que dans la vision libérale anglo-saxonne, le citoyen, pas plus que l’espace civique n’existent, parce qu’il n’y a que des individus qui ont des droits individuels et qui se définissent en fonction de leurs particularismes, mettant ainsi l’accent sur ce qui les différencie, ce qui a pour effet d’encourager le communautarisme, de miner la cohésion sociale et d’empêcher l’affirmation nationale.

Que dans la tradition républicaine qui distingue le Québec du reste du Canada, l’État exerce sa souveraineté parlementaire et impose ses règles afin de préserver la laïcité de ses institutions alors que dans la vision anglo-saxonne, l’État doit être minimal parce qu’on le juge coercitif, enclin à brimer les droits des minorités. C’est pourquoi il doit s’effacer devant le pouvoir juridique et s’en remettre aux jugements des tribunaux. C’est ce que l’on appelle la judiciarisation du politique.

Il faudrait aussi aborder la laïcité ouverte, expliquer ce qui la caractérise et montrer comment elle ne fait qu’introduire à nouveau les religions dans les institutions de l’État. Montrer que la neutralité de l’État sans la séparation n’est pas de la laïcité puisque qu’un État neutre pourrait alors, sans favoriser ou défavoriser une religion, les accueillir toutes et s’harmoniser parfaitement avec le multiculturalisme canadien.

C’est avec ce genre de raisonnement que l’on s’oppose à la loi 21 et défend le port de signes religieux chez les enseignants des écoles publiques en disant que c’est l’État qui doit être neutre, pas les individus et qu’avec la loi 21, l’État restreint la liberté religieuse et brime les droits des croyants, particulièrement celui des femmes musulmanes. 

L’histoire québécoise de la laïcité

Passons maintenant au second volet, celui de l’histoire de la laïcité au Québec. Il est important ici de donner aux élèves une perspective historique avec les temps forts qui ont marqués notre parcours en matière de laïcité face à l’Église catholique afin que les élèves comprennent en quoi nos efforts actuels face à des religions minoritaires n’ont rien de raciste ou d’islamophobe, puisqu’ils obéissent toujours aux mêmes principes et qu’ils ne sont que la suite logique de notre histoire.

Depuis le début des années 60, l’État québécois s’est affirmé et investi des champs autrefois occupés par les religieux comme la santé, les services sociaux, l’éducation et la culture, en créant différents ministères qui seront laïques. C’est d’ailleurs l’une des grandes réalisations de cette révolution tranquille que la laïcisation de nos institutions publiques.

Toutefois, d’énormes compromis seront faits avec l’Église dans le domaine de l’éducation. Des instances confessionnelles seront créées dans les plus hautes structures de l’État comme des postes de sous-ministres associés de foi catholique et protestante ainsi que la création de comités catholique et protestant du Conseil supérieur de l’Éducation et le maintien de la confessionnalité dans les écoles.

L’Église a conservé sa mainmise sur les écoles parce qu’elle avait compris que si l’on veut que la religion définisse et oriente la vie de tout un peuple, c’est à l’école qu’il faut être davantage que dans les hôpitaux.

C’est donc sur le terrain de l’éducation que la bataille pour la laïcité va se concentrer avec pour principale revendication, la déconfessionnalisation des écoles publiques.

En 1961, des partisans d’une école laïque vont se regrouper pour fonder le Mouvement laïque de langue française qui conduira en 1981, à la création du Mouvement laïque québécois qui défend actuellement la loi 21 devant les tribunaux. 

Il faudra attendre 1997 pour que les commissions scolaires deviennent laïques, 2000 pour laïciser les écoles publiques et 2005 pour mettre fin à l’enseignement confessionnel. 

2005 marquera aussi l’entrée de l’islam sur la scène politique et médiatique avec la question controversée des tribunaux islamiques en matière de droit familial.

En 2006, une année seulement après que l’on eût mis fin à l’enseignement confessionnel, la Cour suprême déboutera la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys qui s’opposait au port du kirpan et qui avait gagné en Cour d’appel, et autorisera le port du kirpan dans les écoles. 

En 2007, ce sera l’année de la crise des accommodements raisonnables et la mise sur pied de la Commission Bouchard-Taylor, dont le rapport déposé en 2008, recommande la laïcité ouverte et des accommodements au cas par cas, visant à accorder à un individu, une dérogation à une norme, à une règle commune qui serait discriminatoire en vertu des chartes. 

En 2013, le projet de loi 60, appelé charte des valeurs, qui interdisait le port de signes religieux dans toutes les institutions publiques, mourut au feuilleton par suite du déclenchement des élections en 2014.

En 2017 sera adoptée la loi 62 sur la neutralité de l’État qui mettait en place une laïcité ouverte aux religions dans les institutions publiques et finalement en 2019, l’adoption de la loi sur la laïcité de l’État actuellement contestée devant les tribunaux et qui se rendra fort probablement en Cour suprême. 

Cette Cour suprême qui nous rappelle le carcan constitutionnel dans lequel nous sommes en tant que province et qui empêche le Québec d’avoir sa pleine autonomie en matière de laïcité. 

Les défis que représente l’enseignement de la laïcité

Ils sont nombreux. Je vais en énumérer quelques-uns :

Le premier, c’est le temps. Le temps alloué à la présentation de la laïcité à l’intérieur du cours de Culture et citoyenneté québécoise sera déterminant pour la réussite de cet enseignement. Ce sera assurément une façon de juger du sérieux du gouvernement dans l’implantation de ce nouvel apprentissage.

Le second défi, c’est l’ignorance de tout et les mêmes préjugés partagés à la fois par les enseignants et par les élèves face à la laïcité.

L’auto-censure des enseignants qui craignent d’être accusés de racisme ou d’islamophobie. Un facteur silencieux qui pèse lourd dans la balance.

L’isolement des enseignants en faveur de la laïcité face aux prises de position de leur syndicat contre la loi 21. Pensons notamment à la Fédération autonome des enseignants qui contestent la loi 21 devant les tribunaux. Une vraie honte !

Du côté des jeunes, plusieurs ne voient pas l’importance et la pertinence de la laïcité.

Plusieurs jeunes élèves et jeunes enseignants sont contaminés par la pensée intersectionnelle et décoloniale, et ramènent tout à l’identité, jugeant alors que le voile fait partie de l’identité des femmes musulmanes et qu’on ne peut donc pas leur demander de le retirer au travail. 

Les élèves n’ont aucune idée de ce qu’est le voile, de sa dimension politique comme élément de prosélytisme ou indice d’islamisation parce qu’on les a habitués à n’y voir qu’un simple vêtement. Le « c’est mon choix » tend à occulter que le vêtement est un objet de communication.

Les jeunes ne voient pas non plus le voile comme étant un symbole d’oppression patriarcale incompatible avec le féminisme.

Et finalement, les élèves n’ont pas l’habitude d’une approche critique du fait religieux et confondent souvent le respect des croyants d’avec le respect des croyances.

Quelques mesures à prendre

Comme outil pédagogique, que le ministère de l’Éducation fournisse aux enseignants un petit guide sur la laïcité qui garantirait un enseignement objectif de qualité, faciliterait le travail des enseignants et leur enlèverait une pression sur les épaules d’avoir à aborder un sujet aussi sensible.

Ajouter une formation obligatoire à la laïcité dans le cursus des futurs enseignants à la faculté des sciences de l’Éducation de même que dans la formation universitaire des futurs médiateurs interculturels.

Finalement décréter une journée de la laïcité à l’école qui permettrait aux enseignants de rappeler les principes de la laïcité et de répondre aux questions des élèves. 

Certains d’entre vous seront peut-être tentés de me demander comment mes étudiants réagissaient à mon enseignement à la laïcité. Très bien. Deux remarques revenaient constamment : Madame, j’ai beaucoup appris, on ne m’avait jamais parlé de cela. Et, au début du cours, on pensait que vous étiez raciste mais cela n’a vraiment rien à voir.

Chers amis, ces simples commentaires doivent nous encourager à aller de l’avant dans l’éducation à la laïcité. 

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Adil Charkaoui, on attend la suite !

« Allah, charge-toi de ces agresseurs sionistes. Allah, charge-toi des ennemis du peuple de Gaza. Allah, recense-les tous, puis extermine-les. Et n’épargne aucun d’entre eux ! » Ce discours haineux prononcé par l’imam Adil Charkaoui, lors de la manifestation pro- palestinienne du 28 octobre, a fait l’objet d’une plainte, qui est toujours sous enquête, et pour laquelle on tarde à porter des accusations en vertu de l’article 319 du Code criminel interdisant l’incitation publique à la haine. 

Comment expliquer cela ? Un musulman appelle au meurtre devant une foule en plein Montréal et il serait impossible de le sanctionner ? La réponse est oui. Vous savez pourquoi ? Parce que ce même article autorise, en 319(3)b, quiconque à tenir un discours haineux « s’il a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit » sans être déclaré coupable d’une infraction. 

Cette protection octroyée aux croyants de pouvoir tenir un discours haineux en toute impunité constitue un passe-droit pour l’expression de toutes les haines et les violences contenues dans les textes fondateurs des différentes religions, et dont les propos d’Adil Charkaoui, qu’il affirme être une prière, sont un exemple patent. Mais il y a plus encore.

L’immunité des textes dits sacrés 

Cette protection indue constitue avant tout un aveu implicite de la violence que renferme les textes religieux et que l’État canadien veut mettre à l’abri de toute poursuite pénale. Par cette exception, l’État introduit une distinction entre les textes profanes et les textes sacrés, situant alors ces derniers en dehors de la loi des hommes et des normes juridiques s’appliquant à l’ensemble des citoyens. 

En faisant cela, l’État outrepasse son rôle, instituant et imposant dans l’espace public, un espace sacré, qui relève d’une logique confessionnelle, qui est celle des Églises, pour qui la parole divine est parfaite, puisqu’elle participe du divin et qu’elle est le fait d’une révélation. 

En conformité avec le préambule de la charte canadienne des droits et libertés qui reconnaît la suprématie de Dieu, l’État donne à ces textes un statut particulier, un caractère supérieur qui atteste du primat du religieux sur le civil, reconduisant à nouveau cette même logique confessionnelle.

L’État n’est pas une Église 

En Occident, depuis le siècle des Lumières, l’État s’est affranchi progressivement du pouvoir religieux pour devenir autonome et souverain, posant ainsi les principaux jalons de la démocratie, de la citoyenneté, de l’État de droit et de la laïcité. Nous devons retenir de ces avancées historiques qu’un État laïque ne reconnaît que la loi civile, celle des hommes, émanant du peuple et non de Dieu ou d’Allah. 

Qu’un État laïque n’est pas une Église au service des croyants mais bien une institution au service de l’ensemble des citoyens, indépendamment de leur croyance ou de leur conviction. Et qu’il ne convient pas à un pareil État de se comporter comme une Église en reconnaissant le caractère prétendument sacré des textes religieux. 

Qu’un État laïque ne doive pas confondre le respect des croyants d’avec le respect des croyances, ces dernières étant éminemment critiquables et justiciables comme n’importe lequel autre discours, à plus forte raison lorsqu’il s’agit de propos haineux et d’appel au meurtre comme ceux d’Adil Charkaoui.

Pour l’abrogation

Cette immunité accordée aux croyants est une aberration et rien ne peut justifier que ceux-ci puissent jouir d’un pareil privilège au détriment de tous les autres citoyens. Mais au Canada, bien que nous soyons tous égaux devant la loi, il semblerait, qu’il y en a qui sont plus égaux que d’autres. Et ici, ce ne sont certes pas les lobbys religieux qui vont s’en plaindre.  

Que des accusations criminelles soient portées ou non contre l’imam Charkaoui, son discours du 28 octobre devrait nous inquiéter et interpeler la classe politique. Le paragraphe 319(3)b du Code criminel accordant une immunité aux propos haineux fondés sur un texte religieux doit être abrogé par le gouvernement fédéral. 

Et il importe ici d’entendre haut et fort les élus de tous les partis politiques, tant provincial que fédéral, parler d’une seule voix pour exiger du gouvernement Trudeau le retrait de ce paragraphe discriminatoire, inique et incongru qui autorise les propos haineux des textes religieux et constitue un grave errement à l’État de droit.

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Théorie du genre 101, version enrichie  

Pourquoi enrichie ? Pour rectifier certains propos étonnants de Dominique Payette dans son texte, Théorie du genre 101, paru dans Le Devoir du 23 septembre, et exposer du même coup les points saillants de cette théorie, dont tout le monde parle sans jamais pouvoir expliquer clairement en quoi elle consiste. 

Disons d’abord que Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir a bien peu à voir avec la théorie du genre. Et s’il faut établir une filiation directe, c’est vers la philosophe américaine Judith Butler, théoricienne du queer, qu’il faut se tourner. 

Madame Payette aurait d’ailleurs grand intérêt à lire deux de ses ouvrages, Défaire le genre et Trouble dans le genrele féminisme et la subversion de l’identité, qui ont été à l’origine d’une remise en question radicale de l’identité de genre et qui ont fait du queer et de la transidentité, des pratiques subversives qui déconnectent le sexe du genre et contestent par le fait même la position sociale dominante de l’hétérosexualité.

Butler applique la méthode foucaldienne à la théorie du genre

Pour Michel Foucault, le sexe existe, bien évidemment, mais, dira-t-il, nous ne le connaîtrons jamais réellement. Parce que nous n’y avons accès qu’à travers un certain langage, un dispositif discursif qui le fait exister d’une certaine façon, à une époque donnée. Bref, le sexe n’échappe pas à l’histoire et n’existe pas en dehors d’elle. Il est travaillé, construit, constitué par elle et ne la précède pas. Il en est plutôt l’effet, le résultat.

C’est en ce sens et en ce sens seulement, qu’il n’y a pas de « vrai sexe » pour Foucault, un sexe universel, une réalité brute traversant toutes les époques, puisque nous n’y avons accès qu’à travers des singularités historiques. 

On reconnaît ici l’influence de Nietzsche sur Foucault qui a récusé toute métaphysique de la substance et fait table rase de toutes les philosophies qui présupposent qu’il y a de l’Être qui se cache derrière les mots. 

D’où le refus chez Foucault et chez Butler d’une ontologie sexuelle, d’un sexe anhistorique qui servirait de fondement naturel à l’identité de genre. En clair, il n’y a pas d’original, rien que des copies. Des copies à l’infini qui ne sont des copies de rien, toutes différentes les unes des autres. Un monde sans universaux, où n’existent que des singularités. 

Butler appliquera cette méthode à la théorie du genre pour en déduire que la norme hétérosexuelle, par sa répétition, crée l’illusion d’une sexualité « naturelle » en dehors de l’histoire, qui détermine et limite le genre. C’est d’ailleurs ce que Butler reproche à Beauvoir, d’avoir pensé le corps comme un donné biologique qui échappe à l’histoire.

La tâche qui s’impose alors pour libérer le genre et le rendre plus fluide comportera deux exigences, la première étant celle de le séparer du sexe, pour ensuite refuser à ce sexe tout caractère naturel. Ainsi, la transidentité, où un homme se dit une femme et une femme se dit un homme, satisfait parfaitement ces exigences et se présente comme la stratégie politique la plus avantageuse pour déstabiliser l’hétéronormativité. 

Le sexe est « assigné » et la biologie est congédiée

Dans certains documents du ministère de l’Éducation, on parle de sexe « assigné » à la naissance au lieu de sexe « constaté », sous-entendant ici que l’assignation du sexe de l’enfant est attribuée par une autorité extérieure, soit le personnel soignant ou les parents et qu’il est donc le produit d’une histoire singulière, structurée par des relations de pouvoir dans laquelle l’institution médicale et ses acteurs jouent un rôle prépondérant. 

Dénaturaliser l’hétérosexualité suppose également que l’on évite de se référer à des concepts fondateurs trop biologisants, telle fille et garçon, femme et homme, en les remplaçant par « personne avec un utérus », « personne avec un pénis », dans le but d’empêcher tout lien de causalité entre le sexe et le genre et d’effacer toute différence des sexes et de leur nécessaire complémentarité dans la reproduction sexuée. 

L’enjeu ultime de la théorie du genre, dénaturaliser l’hétérosexualité

Jusqu’à maintenant, on nous a présenté la théorie du genre sous l’angle de l’acceptation sociale de la diversité sexuelle mais ce serait une grave erreur d’écarter ce qui se joue de fondamental sur le plan des idées. Une révolution est en cours, sous nos yeux, alors que nous sommes en train de réinitialiser notre monde. 

Laissons la parole à Butler : « La perte des normes de genre aurait pour conséquence de faire proliférer les configurations du genre, de déstabiliser l’identité substantive et de priver les récits naturalisants de l’hétérosexualité obligatoire de leurs personnages principaux : l’ « homme » et la « femme » 

». TG, p. 273.

Ici, la biologie n’est plus une science mais devient plutôt le discours dominant de l’hétérosexisme. Il faut voir dans cette posture une attaque frontale contre l’universalisme et son rempart le plus solide, celui de la science. Ce renversement de perspective est loin d’être banal, il n’est pas sans conséquence, et doit être questionné.

Si les militants trans ont trouvé dans la philosophie de Butler un appui conceptuel à leur démarche politique pour faire avancer leurs droits, il n’en demeure pas moins que c’est un tout nouveau projet de société qui se dessine derrière cette avancée.

Quant à l’affirmation de madame Payette, disant qu’elle ne s’habille pas comme sa grand-mère, ni comme une Afghane et que la théorie du genre est aussi simple que cela, je laisse au lecteur le loisir d’en penser ce qu’il veut. 

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Le féminisme intersectionnel est un féminisme décolonial

Une motion a été présentée récemment, à l’Assemblée nationale, par Québec solidaire, demandant que « l’analyse différenciée selon les sexes se fassent dans une perspective intersectionnelle afin de défendre le droit de toutes les femmes au Québec ». Refusant d’insérer l’intersectionnalité, cette motion a été rejetée par le gouvernement caquiste et sa ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, que l’on a accusé de s’accrocher à un féminisme des années ’50, démodé et désuet, qui n’était pas inclusif.

L’intersectionnalité, une méthode d’analyse

Issu de la Théorie critique de la race en vogue aux États-Unis à partir des années ‘90, l’intersectionnalité est une méthode d’analyse crée par la juriste américaine Kimberlé Crenshaw qui soutient qu’une même personne peut être au carrefour (à l’intersection) de plusieurs discriminations, ainsi, par exemple, une femme noire pourrait subir une double discrimination en vertu de son genre et de sa race. 

Or, nous dit Crenshaw, le droit américain recèle un angle mort qui ne permet pas à une plaignante de porter plainte à la fois pour sexisme ET pour racisme, le racisme s’appliquant aussi aux hommes noirs et le sexisme concernant toutes les femmes, indépendamment de leur race. C’est alors que Crenshaw proposa une méthode d’analyse, l’intersectionnalité, qui puisse prendre en compte plusieurs motifs de discrimination que pourrait vivre une même personne.

Le féminisme intersectionnel opposent les femmes blanches aux femmes racisées.

Le féminisme s’est approprié cette méthode en appliquant le concept de race à l’ensemble des femmes, divisant celles-ci en femmes blanches et non blanches, introduisant alors une dynamique de rapports de pouvoir entre les femmes, les blanches formant la majorité dominante face à des minorités racisées et dominées, dans laquelle toutes les femmes blanches sont par essence des privilégiées. 

Le pire ennemi des femmes n’est donc plus le patriarcat, mais les femmes elles-mêmes, les femmes blanches étant devenues, à cause de la couleur de leur peau, l’ennemi principal des femmes racisées. Des femmes blanches appauvries, des aînées blanches, seules et démunies, des femmes blanches handicapées, toutes ennemies des femmes racisées ! On aurait voulu détruire le féminisme que l’on n’aurait pas trouver mieux !  

Le féminisme intersectionnel s’oppose au féminisme universaliste

Le féminisme intersectionnel n’a de sens et de consistance qu’à l’intérieur du paradigme décolonial qui postule que l’universel, au nom duquel les féministes revendiquent les mêmes droits pour toutes les femmes, n’est pas neutre, que cette égalité de droits n’est que le masque d’une domination coloniale, par lequel les femmes blanches veulent imposer leur propre vision du monde. 

Ainsi le féminisme universaliste qui reconnaît l’égale dignité de toutes les femmes, indépendamment de leur race, devient à travers le prisme colonial de l’intersectionnalité, un particularisme déguisé, un privilège blanc, synonyme d’hégémonie culturelle, d’impérialisme et d’arrogance occidentale. 

Les intersectionnelles iront même jusqu’à affirmer que toutes les revendications, les batailles, les gains et les acquis du mouvement féministe des dernières décennies au Québec ne traduisaient que les préoccupations et les intérêts de ces femmes blanches privilégiées, insensibles et aveugles au sort des femmes racisées. Vraiment !

Au nom de l’égalité, les réalisations du féminisme universel

Alors il faudrait nous expliquer (ce que l’on se garde bien de faire) en quoi les droits juridiques, politiques, sociaux et reproductifs obtenus au siècle dernier au nom de l’égalité et qui ont constitué de véritables avancées pour l’ensemble des femmes, en quoi ceux-ci ne concernaient que les femmes blanches ?

Le statut juridique de « personne » obtenu pour les femmes en 1929, l’égalité juridique des hommes et des femmes dans le Code civil québécois. Dans les années ‘60, la fin de la non-mixité dans les classes, l’abolition des stéréotypes sexistes dans la scolarisation. En 1968, la Commission Bird enquête sur la situation des femmes canadiennes. En 1969, la décriminalisation des moyens contraceptifs et en 1988, la légalisation de l’avortement.

En 1997, la mise sur pied d’un réseau de garderies accessibles à toutes qui a permis aux femmes de poursuivre des études supérieures, d’entrer sur le marché du travail et d’avoir une autonomie financière. L’équité salariale, le droit au congé de maternité. La modification du Code criminel reconnaissant la violence conjugale comme un crime, etc. 

Toutes ces avancées ne concernaient-elles que les femmes blanches ? Le droit à la contraception et à l’avortement permettant aux femmes de choisir leur maternité serait uniquement pour les femmes blanches ? Comment peut-on affirmer de telles âneries !

Le féminisme intersectionnel est un féminisme hautain, ingrat et sans mémoire, qui n’a que mépris pour l’histoire du féminisme au Québec, tout simplement parce que cela ne cadre pas avec le récit militant décolonial que l’on veut imposer aux nouvelles générations.

Le féminisme intersectionnel, une menace bien réelle à la survie du féminisme 

Que penser d’un féminisme qui exclut la majorité des femmes du seul fait qu’elles ont la peau blanche? La race serait-elle devenue à nouveau, comme à l’époque de l’esclavagisme américain, le surdéterminant servant à définir une personne ? 

Et que penser d’un féminisme qui divise le mouvement des femmes en pointant ses canons à l’intérieur de ses propres troupes, ses consœurs de lutte, au lieu de les braquer sur le patriarcat ? 

Que penser d’un féminisme islamophile, aveugle au sexisme du voile islamique, aveugle aux principes les plus élémentaires de la laïcité et de son histoire québécoise et qui combat la loi 21 comme étant une imposture raciste et coloniale qui ne dit pas son nom ? 

Que penser d’un féminisme qui célèbre les identités des minorités mais qui méprise la nôtre, celle de notre nation ? 

Ce féminisme, déjà bien implanté dans le milieu universitaire, médiatique et communautaire, cherche maintenant à s’enraciner dans la sphère politique avec l’aide de Québec solidaire. Ne soyons pas dupes ! C’est un cheval de Troie qui n’a qu’un objectif, décoloniser et combattre un féminisme universaliste, jugé trop blanc.

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Que fait la religion au cœur de l’État ?

La nomination par le gouvernement Trudeau, de l’ex-militante du Conseil national des musulmans canadiens, Amira Elghawaby, à titre de conseillère et d’experte dans la lutte contre l’islamophobie au Canada a permis jusqu’ici de mettre en lumière sa farouche opposition à la loi 21 et son profond mépris à l’endroit des Québécois. 

Mais cette importante nomination ne tombe pas du ciel et on peut penser sans trop se tromper qu’elle émane du rapport Agir contre le racisme systémique et la discrimination religieuse, y compris l’islamophobie, qui a été présenté en février 2018, à la Chambre des communes, par le Comité permanent du patrimoine canadien, pour lequel il avait été mandaté en mars 2017, lors de l’adoption de la motion M-103 condamnant l’islamophobie.

Ce rapport contient au total 30 recommandations visant à mettre en œuvre un plan d’action national pour lutter contre le racisme systémique et la discrimination religieuse, y compris l’islamophobie, au niveau fédéral. Il constitue à ce jour, le projet le plus vaste et le plus ambitieux jamais présenté à un gouvernement, un projet aux ramifications multiples où l’on se sert de la religion pour imposer le multiculturalisme.

Intentions

Cinq ans après son dépôt, on peut penser que l’entrée en fonction d’Amira Elghawaby marque le début de sa mise en œuvre, que les moyens, les associations et les individus choisis pour la concrétisation de ce plan national sont déjà prévus et engagés, n’attendant, pour passer à l’action, que le feu vert de la conseillère spéciale et de son patron, le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez. 

Au-delà de ses tweets haineux, nous aurions grand intérêt à questionner madame Elghawaby sur ses intentions concernant l’élaboration de politiques, les programmes envisagés et leurs objectifs spécifiques, la nature et les lignes de force de ses éventuelles propositions législatives, les gens et les organismes dont elle compte s’entourer pour mener à bien ce chantier, les milieux sociaux ciblés pour l’application des mesures prévues et la façon dont elle souhaite intervenir dans chacun d’eux pour lutter contre l’islamophobie, sans oublier, bien sûr, le budget dont elle dispose, sachant que celui-ci sera puisé à même les fonds publics.

Le rapport

La première recommandation propose d’élargir le racisme à la discrimination religieuse, permettant ainsi aux religions de profiter des programmes et des mesures proposés pour lutter contre le racisme.

La seconde proposée par le Conseil national des musulmans canadiens pour lequel Amira Elghabawy a milité serait à l’effet de créer une direction pour la réalisation de ce plan au sein même du ministère du Patrimoine canadien. En bref, d’installer les religions au cœur du gouvernement central. Et puisqu’il s’agit ici d’islamophobie, je vous laisse deviner quelle religion …

Concernant les politiques gouvernementales, il est proposé de concevoir un cadre d’évaluation antiraciste afin de prévoir et d’éliminer les préjugés inconscients dans les politiques, les programmes et les décisions proposés. Dans le cas présent, cela signifie que sous couvert de lutte contre l’islamophobie, on propose d’épurer les politiques fédérales pour les infléchir dans le sens d’une ouverture à l’islam.

Mettre en œuvre un programme éducatif ambitieux comportant des cibles précises. On recommande donc une série de mesures telles, élaborer une campagne de sensibilisation auprès du public et promouvoir l’éducation aux médias pour que les journalistes nous présentent une vision plus positive des musulmans et de l’islam.

En collaboration avec les provinces, élaborer pour les jeunes du matériel pédagogique sur les diverses pratiques religieuses et culturelles. Bref, un cours d’ECR à la puissance mille, dans chaque école, d’un océan à l’autre.

Instituer une formation en compétences culturelles pour un certain nombre de professions, notamment les travailleurs sociaux, les enseignants, les législateurs, les policiers, les fonctionnaires, les avocats, les juges et les professionnels de la santé.

Offrir des subventions aux universitaires pour appuyer la création de projets de recherche sur l’islamophobie, le racisme et la discrimination religieuse.

Une avancée significative de l’islam politique au Canada

Pas de conseiller à la christianophobie, pas de conseiller non plus pour les Noirs ou pour les Autochtones mais une conseillère pour lutter contre l’islamophobie. Étrange n’est-ce pas ? Comme si l’islam avait remporté l’exclusivité en matière de discrimination.

Cette nomination constitue une incroyable avancée de l’islam politique dans les secteurs les plus névralgiques de la société canadienne. On peut penser qu’après avoir milité pour le plus puissant lobby politico-religieux au Canada, le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) qui combat systématiquement devant les tribunaux toute tentative de légiférer en matière de laïcité, la conseillère Elghawaby n’a pas renié les valeurs de cette organisation radicalement anti-laïque, que sa fidélité envers cet organisme demeure intacte et qu’il faudrait peut-être considérer son nouveau mandat comme s’inscrivant dans le prolongement de cet activisme. 

Autant dire qu’avec cette nomination, le CNMC vient de tomber dans le plat de bonbons. Des bonbons enveloppés, évidemment.

Et si c’étaient les évangéliques ?

Vous vous souvenez que l’on a fait grand cas des évangéliques lorsque le gouvernement Harper était en poste à Ottawa. Les journalistes dénonçaient haut et fort et avec raison, le lobbyisme de groupes évangéliques ayant leurs entrées au Parlement, de militants ayant un accès privilégié à certains députés pour faire avancer leur agenda dans le but d’infléchir des projets de loi dans le sens de leurs valeurs. Vous vous souvenez de cela ? Alors pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui avec des musulmans ? 

Dites-moi, que fait la religion au cœur de l’État ? Que fait l’islam au cœur de l’État ? Que ce soit le christianisme ou l’islam, nulle religion ne devrait se retrouver dans la sphère politique. Ce qui est contraire à la laïcité qui suppose une nette séparation entre les religions et la politique.

Justin Trudeau a compris l’importance de la diversité religieuse pour l’avancement du multiculturalisme. Il a compris l’importance de courtiser les minorités religieuses dans son désir de réalisation d’un État postnational. Et si le père nous a donné une charte et une loi sur le multiculturalisme, le fils ambitionne de faire sa marque en allant plus loin dans l’application de celle-ci, quitte à prendre tous les risques, y compris celui d’ouvrir un incroyable boulevard aux pires intégrismes religieux.

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Nomination d’Amira Elghawaby

Amira Elghawaby nommée par le gouvernement Trudeau représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie

En mars 2018, j’écrivais un article à propos du Comité permanent du patrimoine canadien qui a présenté à la Chambre des communes son rapport Agir contre le racisme systémique et la discrimination religieuse, y compris l’islamophobie, pour lequel il avait été mandaté en mars 2017, lors de l’adoption de la motion M-103 condamnant l’islamophobie.

Cette importante nomination d’Elghawaby n’est que le début de la mise en œuvre de ce rapport. 

Regardez bien ce qui nous attend : 

Quand les religions s’invitent à Ottawa (mars 2018)

Trois jours après les commémorations de l’attentat à la Grande mosquée de Québec, le Comité permanent du patrimoine canadien a présenté à la Chambre des communes son rapport Agir contre le racisme systémique et la discrimination religieuse, y compris l’islamophobie, pour lequel il avait été mandaté en mars 2017, lors de l’adoption de la motion M-103 condamnant l’islamophobie.

On a fait grand bruit à propos de l’instauration d’une Journée nationale contre l’islamophobie alors que ce rapport est pratiquement passé sous le radar. Nous aurions pourtant intérêt à y accorder la plus grande attention.

Ce rapport contient au total 30 recommandations visant à mettre en œuvre un plan d’action national pour lutter contre le racisme systémique et la discrimination religieuse au niveau fédéral.

Il constitue à ce jour, le projet le plus vaste et le plus ambitieux jamais présenté à un gouvernement, un projet précis et rigoureux, aux ramifications multiples, un projet où l’on se sert de la religion pour imposer le multiculturalisme.

Faire de la religion une race

La première recommandation propose de mettre à jour l’actuel Plan d’action canadien contre le racisme et d’en élargir la portée, afin de l’étendre à la discrimination religieuse. Ainsi la lutte contre le racisme envers les Noirs et les Autochtones inclurait dorénavant les juifs, les catholiques, les évangéliques, les hindous, les sikhs et les musulmans.

Même si nous savons qu’une religion n’est pas une race parce qu’on ne choisit pas notre race alors que l’on peut choisir notre religion, cette recommandation, en amalgamant race et religion, permet aux différents groupes religieux de détourner à leur avantage des programmes et des mesures proposés pour lutter contre le racisme. Comme opportunisme, on peut difficilement faire mieux!

Installer les religions au cœur du gouvernement central

La seconde recommandation serait à l’effet de créer une direction chargée de la réalisation de ce plan, au sein même du ministère du Patrimoine canadien.

Doit-on s’étonner que cette recommandation ait été proposée par le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC), ceux-là même qui sont contre l’interdiction du niqab et contestent la loi 62 devant les tribunaux et qui demandent que le 29 janvier soit déclaré Journée nationale contre l’islamophobie ?

Une telle recommandation va permettre aux lobbys religieux les plus militants et les plus intégristes de franchir l’enceinte du Parlement, d’avoir accès à des moyens et à des ressources inespérés dans le but d’imposer leurs vues et leurs valeurs religieuses à l’ensemble des Canadiens et de profiter des leviers politiques nécessaires à la réalisation de leurs visées.

Ainsi concernant les politiques gouvernementales, il est proposé de concevoir un cadre d’évaluation antiraciste qui permettrait de prévoir et d’éliminer les préjugés inconscients dans les politiques, les programmes et les décisions proposés. Cela signifie que, sous couvert de lutte contre le racisme, on propose ici d’épurer les politiques fédérales actuelles pour les infléchir dans le sens d’une ouverture à la diversité religieuse.

Le dialogue interreligieux pour mieux faire de la politique

Les groupes religieux demandent que le gouvernement encourage, appuie et finance les initiatives entreprises partout au Canada pour amorcer un dialogue interreligieux. Ceci leur permettra de se constituer en groupes de pression auprès du gouvernement, de s’entendre sur des objectifs communs dans le but de faire valoir leurs intérêts et d’orienter les politiques fédérales.

Ces groupes demandent également de créer un mécanisme permettant d’échanger leurs pratiques exemplaires avec le gouvernement fédéral. En clair, d’avoir leur entrée au Parlement pour leur faciliter l’accès aux politiciens comme à ceux qui participent à l’élaboration des politiques. Sans surprise, ces recommandations sont portées par des groupes de chrétiens évangéliques qui ont l’habitude d’avoir leur entrée au Parlement.

Un programme éducatif d’envergure pour formater les esprits 

Pour que la diversité religieuse serve à faire la promotion du multiculturalisme, il faut impérativement mettre en œuvre un programme éducatif comportant des cibles précises.

On recommande donc une série de mesures telles, élaborer une campagne de sensibilisation auprès du public et promouvoir l’éducation aux médias, c’est-à-dire des séances de formation destinées aux journalistes afin qu’ils nous présentent une image plus positive des religions, particulièrement l’islam.

Également en collaboration avec les provinces et les territoires, élaborer pour les jeunes du matériel pédagogique sur les diverses pratiques religieuses et culturelles. Bref, un cours d’éthique et de culture religieuse à la puissance mille, dans chaque école, d’un océan à l’autre.

Instituer une formation en compétences culturelles pour un certain nombre de professions, notamment les travailleurs sociaux, les enseignants, les législateurs, les fonctionnaires, les avocats, les juges et les professionnels de la santé.

Offrir des subventions aux experts universitaires pour appuyer la création de projets de recherche sur l’islamophobie, le racisme et la discrimination religieuse systémique, qui pourraient servir à orienter les politiques publiques. Une manne pour le Conseil de recherches en sciences humaines, le Conseil des arts du Canada et tous les futurs doctorants.

Les policiers auront aussi droit à une formation de sensibilisation raciale et culturelle.

La dernière recommandation ? Que le 29 janvier soit déclaré Journée nationale de commémoration et d’activités concernant l’islamophobie et tout autre forme de discrimination religieuse.

Trudeau et l’ingénierie du multiculturalisme

Ce rapport institue une véritable ingénierie du multiculturalisme dans laquelle les religions jouent un rôle de premier plan. En donnant à celles-ci les moyens d’accroître leur visibilité et leur légitimité, en leur offrant une protection et une autorité sans précédent, l’adoption de ces recommandations permettrait aux religions de s’immiscer dans la sphère politique, ce qui est contraire à la laïcité qui suppose une nette séparation entre les religions et la politique.

Justin Trudeau a compris l’importance de la diversité religieuse pour l’avancement du multiculturalisme. Il a compris l’importance de courtiser les minorités religieuses dans son désir de réalisation d’un État post-national. Et si le père nous a donné une Charte et une loi sur le multiculturalisme, le fils ambitionne de faire sa marque en allant plus loin dans l’application de celles-ci.

Justin Trudeau est moins un naïf qu’un ambitieux. Alors que Trump lui sert de repoussoir, il souhaite faire sa marque au niveau international en présentant le Canada comme un pays modèle en matière d’ouverture.

Trudeau, c’est l’autre Amérique, celle de l’Open Society, du néolibéralisme et de la mondialisation. Et il est prêt à prendre tous les risques, y compris celui d’ouvrir un incroyable boulevard aux pires intégrismes religieux.

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Loi 21: non le Québec n’est pas l’Iran!

Depuis quelques temps, en lien avec les nombreuses manifestations en Iran contre la mort de Masha Amini, arrêtée par la police des mœurs pour «port de vêtement inapproprié», circule dans les démocraties occidentales, chez des intellectuels, des artistes et des politiciens, l’idée qu’interdire aux femmes musulmanes de porter le voile ne serait pas plus acceptable que de les obliger à le porter, comme c’est le cas en Iran. 

Cette position a été défendue lors de la dernière campagne électorale par la députée solidaire Christine Labrie qui a affirmé qu’interdire ou imposer le voile islamique est une forme d’oppression, parce que l’on n’a pas à dire aux femmes comment s’habiller. Gabriel Nadeau-Dubois ajouta, pour sa part, que ceci n’est d’ailleurs pas très cohérent avec le féminisme.

Cette posture libérale reprend exactement celle défendue par la Fédération des femmes du Québec depuis 2009 et se présente orgueilleusement comme étant le nec plus ultra du féminisme; défendre la liberté de toutes les femmes, en Iran comme au Québec. Ni obligation, ni interdiction, liberté! La formule a de quoi séduire et c’est pourquoi elle rencontre spontanément l’assentiment de plusieurs car qui, en effet, voudrait priver les femmes de leur liberté ? Personne, bien évidemment.

Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit vite de l’incohérence d’une telle position, en ce qu’elle met à égalité la loi 21, qui interdit le port de signes religieux, notamment chez les enseignantes des écoles publiques et l’obligation pour les Iraniennes de porter le voile en public. 

Sérieusement, comment peut-on considérer le voile islamique comme un simple vêtement au regard de ce qui se passe actuellement en Iran et comment mettre sur le même pied l’État théocratique islamique d’Iran avec l’État démocratique laïque du Québec ? Il n’y a que l’ignorance ou la mauvaise foi pour expliquer un amalgame aussi saugrenu. 

L’Iran est un État religieux

En Iran, la religion est liée à la politique. Dans son Testament Politico-Spirituel (1989), l’imam Khomeyni insiste sur la nécessité de lier l’islam à l’État pour développer une véritable identité islamique s’opposant au colonialisme de l’Ouest, cet Occident dépravé et impie, tout autant qu’aux pays communistes de l’Est, matérialistes et athées, faisant ainsi de l’islam la pierre angulaire d’un régime politique supposément révolutionnaire. Ce qu’à l’époque, Michel Foucault avait appelé, non sans un certain enthousiasme, la « spiritualisation de la politique ». 

« Quant à ceux qui considèrent que l’islam n’a rien à voir avec le gouvernement et la politique, il faut dire à ces ignorants que le Noble Coran et la Sunna du Messager de Dieu, que Dieu le bénisse lui et les siens, ne comporte dans aucun domaine autant de prescriptions qu’à propos du gouvernement et de la politique. Bien plus : nombre des prescriptions cultuelles de l’islam sont politico-cultuelles, et c’est leur négligence qui a causé nos malheurs ». ( Khomeyni )

Vu sous cet angle, le voile islamique imposé aux femmes par Khomeyni en 1979, se présentait avantageusement comme le passeport idéal pour accéder à la citoyenneté islamique et devenait ainsi un puissant symbole d’islamisation de la société iranienne, tout en décrétant la prédominance des lois religieuses sur les lois civiles.

Ce voile se voulait aussi un élément incontournable d’un programme politique qui exclut symboliquement les femmes de l’espace public, tout en désignant la place de celles-ci dans la société islamique; celui de la famille, considérée comme le lieu naturel de la femme, avec comme devoirs, la soumission à l’époux et l’éducation des enfants. 

Par l’obligation du voile pour les femmes, on établissait ainsi les fondements de la société islamique en affirmant haut et fort la complémentarité des sexes et l’équité des droits qui en découle, tournant ainsi le dos à l’Occident, à sa révolution féministe et à sa Déclaration des droits de l’homme qui promulgue l’égalité de droit entre les femmes et les hommes.

Le Québec est un État laïque

Contrairement à l’Iran, au Québec la religion est séparée de la politique et les lois civiles priment sur les lois religieuses, de sorte que la croyance de certains ne devienne pas la loi de tous. 

L’État est neutre, il ne se mêle pas de religion et n’en privilégie, ni n’en impose aucune, laissant ainsi à chacun la liberté de choisir ses croyances ou ses convictions. C’est que l’on appelle la liberté de conscience. 

Cette neutralité s’incarne dans ses institutions publiques, justement parce que l’État est public, qu’il s’adresse à l’ensemble des citoyens, qu’ils soient catholiques, protestants, juifs, athées ou musulmans, qu’il s’adresse à eux dans ce qu’ils ont de commun, alors que la religion demeure une affaire particulière, personnelle et privée qui n’a pas sa place dans l’espace civique.

Les adversaires de la loi 21 répètent constamment qu’en interdisant le port de signes religieux, l’État se mêle de religion et dit aux femmes musulmanes comment s’habiller. C’est faux ! En interdisant le voile islamique, notamment chez les enseignantes des écoles publiques, l’État ne se mêle pas de religion, pas plus qu’il ne dit aux femmes musulmanes comment s’habiller mais il assume ses responsabilités qui sont celles de protéger la neutralité de ses institutions publiques et la liberté de conscience de chaque citoyen. 

Parce que le voile à l’école, c’est le voile dans l’État. C’est la religion dans l’État. C’est l’islam ici qui s’impose dans la politique et non l’inverse. C’est la religion qui dit aux femmes comment s’habiller, pas l’État. 

Ô liberté !

La liberté n’est pas l’absence de règles et l’interdiction du voile n’est pas l’équivalent de l’obligation de le porter parce que son interdiction chez les enseignantes permet aux élèves musulmanes d’avoir un argument pour se soustraire aux pressions de la famille et de la communauté, plutôt que de se faire dire : « Tu vas le porter le voile, regarde, ton enseignante le porte, tu vas suivre son exemple ». 

Interdire pour libérer. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’interdiction permet l’émancipation des élèves musulmanes et les protège de tout prosélytisme. Elle est là, la liberté. La liberté d’être comme toutes les autres à l’école. Un être humain, une citoyenne en devenir. Une fille comme tant d’autres. Quand on sait ce que cela représente pour des adolescentes. Voilà ce que permet la loi 21. 

Le voile islamique, aujourd’hui taché de sang, qu’il soit porté en Iran ou au Québec, sera toujours synonyme d’oppression et d’y associer la loi 21, comme le fait Québec solidaire, dans le but de discréditer cette loi afin de fidéliser une certaine clientèle, est un procédé pitoyable et malhonnête. Alors que l’on meure en Iran, ici certains se soucient d’additionner les votes!

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ENTRETIEN AVEC ANDRÉE FERRETTI

En hommage à Andrée Ferretti qui nous a quittés récemment, je publie à nouveau un entretien que j’avais fait avec elle en 2008, suite à la publication de son roman Bénédicte sous enquête.

On connaît Andrée Ferretti comme une grande pionnière de la cause indépendantiste, également comme auteure de nouvelles, de romans et de quelques essais politiques, en plus d’avoir travaillé avec Gaston Miron à la réalisation d’un recueil des Grands textes indépendantistes. Cette femme, immense, par ses nombreuses contributions à la vie politique et culturelle du Québec, nous livre cet automne son troisième roman, Bénédicte sous enquête.

Un coffret contenant des mémoires, trouvé par Sophie Bertrand, latiniste et passionnée de généalogie, dans le comble de sa maison patrimoniale de Neuville, sera le point de départ d’une enquête qui l’amènera, elle et son ami Baltazar, à remonter dans la Hollande du 17e siècle, à la rencontre de Bénédicte, l’auteure de ces mémoires et femme philosophe, qui grandit dans la communauté juive de l’époque, avant d’en être cruellement bannie pour athéisme. Cette femme, dont les idées philosophiques peu orthodoxes furent discutées par les plus grands savants de l’époque, connut aussi l’amour et la maternité, et vécut pourtant sa vie entière dissimulée sous des habits d’homme…

Comment ces mémoires ont-ils bien pu atterrir dans son grenier? Quel en est le contenu? Que révéleront-ils à Sophie? Et que nous apprennent-ils sur cette philosophe qui se travestit? Voilà autant de mystères que Sophie et Baltazar se chargeront de déchiffrer, entraînant le lecteur dans une enquête passionnante, où la Bénédicte de Ferretti n’a pas fini de nous surprendre…

Cette fiction habilement menée et soutenue par une écriture dense, alerte et fluide, nous éblouit par l’érudition et le brio de l’auteure à restituer le milieu juif hollandais du 17e siècle et surtout, pour sa magnifique audace d’y avoir mis en scène une femme qui soit philosophe, et pour laquelle, encore aujourd’hui, on se méprend toujours sur sa véritable identité…

Nous connaissons tous l’attachement d’Andrée Ferretti pour l’histoire, mais peut-être un peu moins celui qu’elle porte à la philosophie, qu’elle a étudié à l’université, et qu’elle étudie toujours, en toute liberté, pour son propre plaisir. Son second roman Renaissance en Paganie avait pour personnages principaux un curieux couple, Hubert Aquin et Hypatie, une philosophe grecque, alors qu’avec son dernier roman, Bérénice sous enquête, Ferretti met avec beaucoup de talent, un contenu et une profondeur philosophiques à la portée de tous, et partage avec nous, par le biais de la littérature, sa conception philosophique du monde, son intimité philosophique, pour ne pas dire son éternité…

C’est à cela que j’ai voulu m’intéresser lorsque je l’ai rencontrée.

L.M. : Bénédicte, votre personnage principal, nous confie : « Je me dois donc d’établir la vérité de mon sexe puisqu’il est à la source de ma compréhension du monde comme pure ontologie » p.23.  Est-ce à dire que la philosophie a un sexe?

A.F. : Non, la pensée, la philosophie n’a pas de sexe mais les philosophes, eux, en ont un. La pensée ne s’élabore pas dans l’abstrait mais se crée et s’enracine dans un corps, dans une physiologie, dans des émotions, un milieu culturel, un environnement. Tout ceci façonne notre pensée. Il n’y a pas deux cerveaux, l’un masculin et l’autre féminin. Dans l’histoire de la philosophie, des philosophes misogynes ont fait cette distinction entre le cerveau des hommes et celui des femmes, eux qui croyaient qu’ils étaient les seuls à pouvoir penser. Mais ce ne sont pas des femmes philosophes qui ont dit cela. Non, il n’y a pas deux cerveaux différents, pas plus qu’il n’y a de philosophie féminine ou masculine. Il y a un cerveau humain intégré dans un corps et qui est affecté par la globalité de son environnement. 

L.M. : Qu’est-ce qui vous a amené à penser que Bénédicte Spinoza était une femme?

A.F. : Quand j’ai lu Spinoza, il y a plus de trente ans, ce fut une vraie fulgurance. J’ai aussitôt eu la certitude que c’était une femme qui avait écrit L’Éthique. J’ai eu cette intuition à cause de son refus radical du dualisme et de sa capacité d’en triompher. Refus de tout séparer; le corps et l’esprit, la nature et la culture, l’homme et la femme, la matière et la pensée. Contrairement à Descartes qui représentait à l’époque l’apogée du dualisme, la philosophie de Spinoza est d’essence féminine parce qu’elle nous donne à penser la globalité et l’unité de tout, où chaque être est différent mais pas séparé. Tout doit vivre, non parce que c’est bien ou mal, mais parce que c’est sa nécessité de vouloir persister dans ce qu’il est. Cette pensée montre que Spinoza pensait comme une femme, et que beaucoup d’hommes peuvent tenir des discours semblables, comme les femmes qui donnent et protègent la vie parce que tout ce qui attaque la vie nous est insupportable. En général, ce n’est pas nous qui tuons. Et ce n’est pas une pensée féministe que de dire cela.

Évidemment, si Bénédicte Spinoza a mené une double vie et s’est travestie en homme, c’est d’abord un choix de sa mère qu’elle a par la suite assumé parce qu’elle avait le goût de la connaissance, qu’elle voulait poursuivre ses études et faire de la philosophie dans le monde misogyne des philosophes. 

« Ici est racontée une histoire vraie

En même temps qu’une vraie fiction

À toi qui me liras la liberté et le plaisir

D’hésiter entre la réalité et le réel »

L.M. : Voilà l’avertissement que vous servez au lecteur au tout début de votre livre. La lecture de votre roman a l’effet d’une petite bombe parce qu’il sème le doute dans notre esprit quant à l’identité réelle de Spinoza. Par la fiction, vous réussissez à ébranler ce que l’on croyait être la réalité. Iriez-vous jusqu’à affirmer que Spinoza était une femme?

A.F. : J’ai écrit un roman qui s’appelle Bénédicte sous enquête parce que convaincue à la lecture de L’Éthiqueque Spinoza était une femme. Et je ne me suis pas posée toutes ces questions. Mon plaisir, c’est d’avoir lancé cette hypothèse. Écoutez, Spinoza est connu dans le monde entier, traduit dans toutes les langues et il a toujours passé pour un homme. Et vous, vous arrivez comme cela en 2008, et vous dites qu’elle est une femme. On ne va pas crier cela comme ça, de peur de passer pour une illuminée. Mais lorsqu’on lit sa biographie la plus fouillée et la plus exhaustive écrite par l’américain Steven Nadler, on constate qu’on ne sait presque rien de lui, si ce n’est qu’il est né à telle date dans une famille juive. On ne sait rien de son enfance, pas plus que de son adolescence. Et il disparaît de 1651 à 1655. Pendant toute sa vie d’adulte, même là, on n’est sûr de rien. Sa vie est tellement étrange. On ne sait pas où il était, ni ce qu’il faisait, à part qu’il écrivait. Il se dissimulait tout le temps et il est mort vraiment seul. Et on ne sait même pas où il est enterré. Tout cela m’a confortée dans mon intuition. Je lui ai imaginé une mort très plausible. J’ai inventé à Bérénice Spinoza une vie mais en même temps qui est très fondée sur ce qu’on sait jusqu’à maintenant. Je n’ai pas les moyens ni intellectuel, ni financier, ni institutionnel pour entreprendre une telle recherche et rédiger un essai sur cette question, mais on ne sait jamais, peut-être qu’un jour, quelqu’un… Et j’ai pensé que l’art, infiniment et plus fortement que la philosophie, est un mode d’expression pour atteindre la vérité. Je pense que d’avoir fait un roman qui jusqu’à la fin soutient très bien l’hypothèse, assez pour faire douter sérieusement des professeurs de philosophie qui m’ont écrit, cela veut dire que j’ai réussi mon coup quelque part.

L.M. : Vous avez dit que ce roman vous hantait depuis plus de trente ans. Qu’est-ce qui vous a tant séduit dans la philosophie de cette femme?

A.F. : Sa conception de la liberté et de la joie. J’ai beaucoup lu Spinoza, surtout L’Éthique parce que c’est un bonheur pour moi de voir que l’humain est libre et responsable, à condition de connaître la nature des choses pour pouvoir y faire face. Comme de connaître ce qu’est réellement la foudre, ne détruit pas la foudre mais nous permet d’y faire face et de s’en protéger. C’est ainsi que la connaissance de ce qui est nécessaire nous permet d’être libre et de parvenir par nous-mêmes à la joie. C’est cela qui m’a vraiment éblouie. De se plier à certaines nécessités est loin d’être une résignation pour moi. Par exemple, je crois que pour persister dans notre identité, la nation québécoise a la nécessité de faire l’indépendance. Si on ne fait pas l’indépendance, nous allons disparaître. C’est une nécessité et nous avons la liberté de la réaliser mais on ne se la donne pas. Pas encore. Je comprends que cinquante ans de lutte, c’est très court dans la vie d’un peuple.

Spinoza est citée abondamment mais sa pensée demeure inconnue au sens où on ne l’a pas lue. Vous savez, une pensée d’une telle puissance et d’une telle envergure, qui mène non pas à la destruction mais à la joie, n’a jamais fait école. Heureusement, il y a toujours la littérature.

BÉNÉDICTE SOUS ENQUÊTE

Andrée Ferretti

Vlb éditeur 

Montréal, 2008, 160pages

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Avortement : les femmes ne sont pas des animaux !

Le récent jugement de la Cour suprême américaine retirant aux femmes la protection constitutionnelle du droit à l’avortement représente une des plus violentes attaques à leur dignité et à leur liberté, que les femmes américaines aient vécue depuis plusieurs décennies. En abandonnant le corps de celles-ci à la guérilla juridique menée par les chrétiens évangéliques dans nombre d’États, ce jugement abject rabaisse les femmes au niveau de l’animalité, à égalité, non plus avec les hommes, mais bien avec les souris, les chattes et les chiennes.

La biologie, un élément essentiel de la « situation » des femmes

De Condorcet en France à Mary Wollstonecraft et John Stuart Mill en Angleterre, on a toujours invoqué la « coutume » ou le manque d’éducation des femmes pour expliquer leur infériorisation. Ainsi la solution proposée résidait dans l’instruction obligatoire et la mixité dans l’éducation, afin que les filles puissent bénéficier des mêmes enseignements et des mêmes chances de promotion sociale que les garçons. 

Ce sera l’une des grandes leçons du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, qui, dès le premier chapitre de son ouvrage, insiste sur l’importance décisive de la biologie dans la vie des femmes et sur la nécessité de pouvoir contrôler leur fertilité afin que cette biologie ne devienne pas un destin figé, où les filles et les femmes subissent des grossesses à répétition et enfantent sans l’avoir choisi.

Alors que chez les autres mammifères, le cycle œstral ne se déroule que pendant une saison, chez la femme, celui-ci a lieu à chaque mois, faisant que « de la puberté à la ménopause, la femme est le siège d’une histoire qui se déroule en elle et qui ne la concerne pas personnellement ». « Sans répit, dira de Beauvoir, la femme ébauche le travail de la gestation ». « Ces données biologiques sont d’une extrême importance : elles jouent dans l’histoire de la femme un rôle de premier plan, elles sont un élément essentiel de sa situation. »

Le droit à l’avortement pour enfanter librement

C’est pourquoi, il ne peut y avoir de liberté et d’égalité pour les femmes sans un contrôle rationnel de leur fertilité et une prise en charge sociale de celle-ci, c’est-à-dire un accès gratuit à la contraception, à l’avortement et aux services de garderie qui soient garantis par l’État, pour permettre aux femmes de décider si elles veulent ou non un enfant, du moment de leur maternité et du nombre d’enfants souhaités. 

Car que peut bien vouloir dire pour une femme poursuivre des études supérieures, décrocher un emploi et avoir une carrière, si elle risque de devenir enceinte chaque mois sans l’avoir voulu ? Honnêtement, quel homme se trouve dans pareille situation ? Aucun, alors que c’est le lot de chaque femme.

Contrôler son corps est l’assise de sa liberté et refuser ce droit aux femmes, comme le font toutes les religions, c’est contraindre celles-ci à enfanter contre leur gré, les abaisser à n’être que des poules pondeuses au service de la famille, de la communauté ou de la nation, qu’importe, et les empêcher d’entrer de plain-pied dans l’humanité. Le scandale, il est là. L’inacceptable, il est là, parce que les femmes ne sont tout simplement pas des animaux ! Et si les chiennes et les chattes, coincées dans leurs poils et leur animalité, enfantent dans la répétition et l’inconscience, les femmes sont, en revanche, des êtres historiques, avec une conscience, des désirs, des projets et une volonté de vivre librement, à l’égal des hommes. 

« Tosca, tu me fais oublier Dieu ! »

Cette petite phrase de Scarpia qui fantasme sur le corps de Tosca dans l’opéra de Puccini résume magnifiquement la criante opposition entre le plaisir sexuel et le ciel. Cela explique pourquoi toutes les religions sont obsédées par le sexe, dont elles redoutent la puissante force d’attraction. Il est leur pire ennemi parce qu’il éloigne de Dieu et ruine l’intérêt pour l’autre monde. Limiter le plaisir sexuel à la stricte reproduction et condamner tout ce qui s’en écarte, telle est l’intention fondamentale de toute religion. 

Il faut donc voir ces idéologies patriarcales comme étant un formidable dispositif de contrôle de la sexualité, particulièrement de celle des femmes, qui occupent une position centrale quant à la reproduction.

Pour parvenir à un tel rétrécissement de la sexualité, les religions doivent contraindre les femmes à la maternité et réprimer toute vie sexuelle qui ne vise que le plaisir. Voilà pourquoi les religions condamnent la contraception, l’avortement et le mariage homosexuel, alors qu’ils font la promotion morale de l’épouse et de la mère comme étant un gage d’accomplissement et d’émancipation pour les femmes. Doit-on alors s’étonner que la contraception et le mariage homosexuel soient dorénavant dans le collimateur des juges conservateurs de la Cour suprême américaine ?

Les femmes, des animaux ? 

Ce qui émane de ce jugement est carrément ignoble parce que les femmes y sont humiliées et déchues de leur humanité. Pendant que l’on dénonce avec raison la maltraitance face aux animaux de compagnie et que l’on exige la fermeture des animaleries pour mettre fin aux usines à chiots, les chrétiens évangéliques veulent interdire la contraception et l’avortement pour transformer les femmes en usines à bébés. Bienvenue dans le meilleur des mondes !

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L’affaire de Chelsea, une mise à feu réussie mais attention à l’explosion !

On croyait avoir tout vu et tout entendu concernant la loi sur la laïcité, mais détrompez-vous chers amis, une nouvelle manche est en train de se jouer et la partie continue. Qui aurait pu imaginer une stratégie aussi vicieuse et malhonnête que celle de l’embauche illégale d’une enseignante voilée par la commission scolaire Western Québec pour transformer celle-ci en premier martyr de la loi 21 et mettre à nouveau en orbite les plus farouches opposants à cette loi ? 

En une seule semaine, la machine médiatique de La Presse et de Radio-Canada s’est emballée pour « fabriquer » et amplifier cette nouvelle, espérant susciter une vague d’indignation et de soutien à l’enseignante, plutôt que de dénoncer son engagement illégal, deux ans après l’adoption de la loi 21. Mais l’objectif principal de ce pilonnage médiatique, c’était de forcer les politiciens à se prononcer sur cet événement, de faire pression sur eux afin qu’ils fassent monter les enchères, condamnent la loi 21 et qu’ils interviennent dans la contestation de celle-ci devant les tribunaux. 

C’est ainsi que l’on a pu comprendre que Justin Trudeau interviendra en Cour suprême après les prochaines élections québécoises et que Jagmeet Singh, qui avait promis lors de la dernière campagne électorale fédérale, de ne pas intervenir devant les tribunaux pour contester la loi 21, a changé son fusil d’épaule et n’écarte plus la possibilité de se mêler des affaires du Québec. Maintenant que les élections fédérales sont passées et qu’il a compris que son Klondike est davantage dans l’Ouest canadien qu’au Québec. 

On apprend même que le maire de Brampton en Ontario, Patrick Brown, dont 70 % de la population appartient à des minorités visibles, a accordé 100 000 $ à certains organismes, dont le Conseil national des musulmans canadiens, qui contestent la loi 21 devant les tribunaux et qu’il a envoyé une lettre aux maires des 100 plus grandes municipalités canadiennes, leur demandant de faire de même, ajoutant qu’il est important de combattre cette loi qui pourrait créer un dangereux précédent. 

Le maire de Toronto lui a emboîté le pas, suivi de ceux de Calgary et Winnipeg. En France, on dit de la mairie : une mosquée, trois mandats. Je vous prédis que le maire de Brampton a au moins deux autres mandats devant lui. 

La loi 21, celle par qui tout nous arrive 

Les insultes

Depuis des décennies, il n’y a pas une seule loi votée au Québec qui a connu autant d’opposition et nous a valu autant de mépris et d’injures que la loi 21. Pour vouloir séparer les religions de l’État, comme on l’a fait avec les catholiques, mais cette fois-ci en incluant l’interdiction du port du voile islamique chez les enseignantes, nous avons reçu les pires insultes ; la loi 21 a été comparée à un génocide ethnique pacifique (!) par le maire d’Hampstead, William Steinberg. Elle a aussi été comparée aux lois de Nuremberg par l’avocat Azim Hussain lors du procès en Cour supérieure, un dangereux prélude au nazisme, semble-t-il. 

De nombreuses manifestations contre cette loi, ont été organisées à Montréal. Sur les pancartes, on pouvait y lire : fascisme, KKK, racisme systémique, islamophobie, populisme, identitaires d’extrême-droite, laïcards. On le dit dans les journaux, sur les réseaux sociaux et même dans les universités. On a même fait un lien entre l’attentat de London en Ontario et la loi 21 au Québec. C’est fou comme on s’amuse quand on défend la laïcité face à l’islam.

La désobéissance civile

Moins d’une semaine seulement après le dépôt du projet de loi 21, notre bon ami Julius Grey, reprend le bâton de pèlerin de Gandhi et de Thoreau pour prôner la désobéissance civile, disant que « s’il y a une loi qui est contraire à notre conscience, vous pouvez désobéir. » Au même moment, le député de Québec solidaire, Alexandre Leduc, déclarera à l’Assemblée nationale : « La désobéissance civile, ce n’est pas un crime. C’est une tactique qui existe pour contester un projet de loi ou pas. Je ne dis pas que c’est la meilleure stratégie à utiliser. Les gens qui veulent la contester utiliseront cette stratégie s’ils le veulent. » 

Me Grey a même menacé d’entreprendre des démarches auprès de l’ONU pour dénoncer cette loi, ce qui a probablement donné des idées à Bob Rae, ambassadeur canadien à l’ONU, qui a déclaré ces jours-ci sur Twitter que la loi 21 est discriminatoire et qu’elle va à l’encontre de la Déclaration des droits de l’homme.

Se soustraire à la loi 21

En avril 2019, avant même l’adoption de la loi 21, en juin 2019, un front commun des élus de la métropole demandait au gouvernement l’octroi d’un statut particulier pour Montréal, qui lui permettrait de se soustraire à l’application de la loi alors même que l’association des municipalités de banlieue menaçait de ne pas appliquer cette loi.

La commission scolaire de Montréal (CSDM) s’opposait à la loi et demande au gouvernement, quatre jours après son adoption, un délai d’un an avant de se conformer à celle-ci. Ce qui lui sera refusé. 

Le Canada se mêle de nos affaires

En novembre 2019, les élus à Queen’s Park (Ontario) réclament l’abrogation de la loi 21. Deux jours après, le gouvernement manitobain de Brian Pallister lance des publicités dans les journaux et les médias numériques, invitant les fonctionnaires du Québec à déménager au Manitoba. À « Winnipeg, où les nuits sont longues … » comme dans la chanson ! Deux jours après, le maire d’Edmonton (Alberta) applaudit la sortie du premier ministre manitobain contre la loi 21. En février 2020, le conseil municipal de la ville d’Ottawa dénoncera à son tour la loi 21.

Novembre 2020, début du procès contre la loi 21 : le combat de David contre Goliath

Intervenants en défense de la loi 21 : 

Le gouvernement du Québec, le Mouvement laïque québécois (MLQ) et Pour les droits des femmes-Québec (PDF-Q).

Intervenants contre la loi 21 : 

Ichrak Nourel Hak, Amrit Kaur, Andréa Lauzon, Hakima Dadouche, Bouchera Chelbi, Mubeenah Mughal, Pietro Mercuri, Corporation of the Canadian Civil Liberties Associations, National Council of Canadian Muslims, World Sikh Organization of Canada, Amnistie international section Canada francophone, Commission canadienne des droits de la personne, Quebec Community Groups Network, Association de droits Lord Reading, Comité juridique de la Coalition inclusion Québec, English Montreal School Board et la Fédération autonome de l’enseignement.

La clause dérogatoire, le nœud de la guerre

N’eut été de la clause dérogatoire, la loi 21 aurait été invalidée en entier par le juge Marc-André Blanchard. Il faut savoir que cette clause ne permet pas au législateur de se soustraire à la totalité des articles de la Charte canadienne mais uniquement à l’article 2 et ceux allant de 7 à 15, où ce dernier article interdit notamment la discrimination basée sur un motif religieux.

Pour le dire simplement, le juge dont le jupon dépassait tout au long du procès a donné raison aux opposants à la loi qui ont appuyé leur requête sur des articles auquel le législateur ne pouvait pas déroger.

La loi 21, celle par qui tout adviendra

De toute évidence cette cause est de première importance pour l’ensemble du Canada parce que si la Cour suprême validait la loi 21, cela modifierait de façon significative et substantielle la jurisprudence canadienne. 

Dans l’hypothèse où la loi 21 serait déclarée constitutionnelle, cela autoriserait toutes les provinces canadiennes à légiférer de la même façon que le Québec. Quand on sait que plus de 40 % de Canadiens donnent leur appui à la loi 21, on comprend que l’enjeu soit énorme pour les lobbys religieux qui font pression sur les élus à travers tout le Canada pour qu’ils condamnent cette loi. C’est de ce « dangereux précédent » dont parle le maire de Brampton.

À l’inverse, si la loi 21 était déclarée inconstitutionnelle, nos adversaires auraient gagné non seulement le droit constitutionnel d’invalider la loi 21 au Québec, mais également celui d’empêcher toutes les autres provinces canadiennes à pouvoir légiférer dans le même sens.

La clause dérogatoire protège la loi 21 et soyons assurés que c’est sur celle-ci, davantage que sur la laïcité, que va se concentrer les efforts des opposants à cette loi. D’abord, on essaie de nous convaincre de l’inutilité de celle-ci. C’est d’ailleurs ce que nous ont dit Julius Grey et Charles Taylor et c’est exactement ce que nous martèlent des chroniqueurs de La Presse, tels Yves Boisvert et Michel C. Auger, depuis une semaine. On va l’entendre encore et souvent, croyez-moi.

L’idée c’est d’amener le gouvernement Legault à devoir prouver l’utilité de sa loi et de devoir démontrer qu’il est donc pleinement justifié d’utiliser la clause dérogatoire. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, un gouvernement peut se prévaloir de la clause dérogatoire sans avoir à se justifier d’aucune façon. Et c’est justement cela que les avocats des opposants vont attaquer en Cour suprême en demandant aux juges de baliser et d’imposer des limites à cette fameuse clause dérogatoire. 

Je l’ai déjà dit et je le répète, cette bataille autour de la loi 21 constitue un formidable tremplin vers l’indépendance. Parce que c’est à travers elle que l’on va faire la démonstration la plus éloquente de notre aliénation dans le régime fédéral et que c’est aussi à travers elle que nous retrouverons le goût, la force et la fierté de se donner un pays.

Michel C. Auger concluait un de ses plus récents articles en disant que « Le premier ministre Legault ne s’aide certainement pas en répétant chaque fois qu’on lui en parle que la loi 21 est populaire. Sauf, ajoutait-il, que les chartes des droits existent précisément pour protéger les minorités contre des lois injustes mais populaires pour la majorité. Un sondage, devant un tribunal, ça ne pèse pas lourd. » 

Mais, croyez-moi, quand cette majorité va se lever, on verra bien que ce n’est pas qu’un sondage. Pour une raison fort simple. L’arrogance et le mépris ont assez duré. Nous en avons assez. Attention à l’explosion ! …

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